L'animal et ses droits

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Lieu de mise à mort «ration­nelle» d’ani­maux desti­nés aux appé­tits humains, les abat­toirs de Malley suscitent atti­tudes et repré­sen­ta­tions contras­tées vis-à-vis de la souf­france animale

« Le souci constant d’épar­gner des souf­frances aux animaux de bouche­rie a dicté, avant toute chose, les condi­tions de loge­ment, de déchar­ge­ment et le choix des méthodes d’abat­tage » (Roger Benoît, 1945). En l’ab­sence, à l’époque, d’un cadre juri­dique défi­nis­sant les notions de « bien-être » et de « protec­tion » des animaux, cette cita­tion du premier direc­teur des abat­toirs (de 1945 à 1966) doit être inscrite dans un contexte où la préser­va­tion de la « santé » des animaux de bouche­rie a une fina­lité écono­mique qui est d’as­su­rer la qualité du produit de valeur qu’est la viande.

Samuel Debrot, <i>Technologie vétérinaire</i>. Hygiène et production de la viande, 1967.
Samuel Debrot, Technologie vétérinaire. Hygiène et production de la viande, 1967.

La première Loi fédé­rale sur la protec­tion des animaux (LPA), promul­guée en 1978 et entrée en vigueur en 1981, est le fruit d’un compro­mis entre exigences de protec­tion des animaux et d’uti­li­sa­tion de ces derniers.

Texte initial de la première loi fédérale (1978) réglementant la protection des animaux au niveau national (LPA). Archives fédérales suisses.
Texte initial de la première loi fédérale (1978) réglementant la protection des animaux au niveau national (LPA). Archives fédérales suisses.

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Une de ses dispo­si­tions réaf­firme l’obli­ga­tion d’étour­dir les animaux avant la saignée. Celle-ci fait suite à l’ar­ticle géné­ral sur la protec­tion des animaux de 1973 qui remplace l’an­cienne dispo­si­tion consti­tu­tion­nelle de 1893, entrée en vigueur suite à l’ac­cep­ta­tion de l’ini­tia­tive popu­laire « Inter­dic­tion d’abattre le bétail de bouche­rie sans l’avoir préa­la­ble­ment étourdi ».

Extrait de la Feuille fédérale suisse annonçant la soumission à la votation populaire de l’initiative du 20 juin 1893 concernant l’interdiction de l'abattage des animaux sans étourdissement préalable. Archives fédérales suisses.
Extrait de la Feuille fédérale suisse annonçant la soumission à la votation populaire de l’initiative du 20 juin 1893 concernant l’interdiction de l'abattage des animaux sans étourdissement préalable. Archives fédérales suisses.

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Depuis sa créa­tion, la LPA fait l’objet d’une révi­sion en 2005 (entrée en vigueur en 2008) et de modi­fi­ca­tions qui illus­trent un chan­ge­ment du statut juri­dique de l’ani­mal, dont la LPA recon­naît non seule­ment le droit au « bien-être », mais aussi la « dignité ».

Michel Perrenoud, Abattoirs de Malley, 14.04.1983, © Michel Perrenoud, Archives cantonales vaudoises.
Michel Perrenoud, Abattoirs de Malley, 14.04.1983, © Michel Perrenoud, Archives cantonales vaudoises.

Ces adap­ta­tions reflètent la préoc­cu­pa­tion sociale gran­dis­sante alimen­tée ces dernières années par des cas, filmés, de mauvais trai­te­ments infli­gés aux animaux en abat­toir. Dans les abat­toirs, la respon­sa­bi­lité de surveiller l’ap­pli­ca­tion de l’Or­don­nance fédé­rale sur la protec­tion des animaux (OPAnAb) incombe au vété­ri­naire, auto­rité scien­ti­fique qui assume le rôle déli­cat d’ar­bitre entre impé­ra­tifs sani­taires, renta­bi­lité et protec­tion animale. Le Dr Patrice Franc­fort, dernier vété­ri­naire respon­sable des abat­toirs de Malley, instaure dans ce sens, à l’at­ten­tion du person­nel concerné, un cours de psycho­lo­gie animale afin de limi­ter le stress des bêtes provoqué par l’em­ploi de l’ai­guillon élec­trique notam­ment, dispo­si­tif admi­nis­trant une décharge aux animaux pour les forcer à avan­cer, qui est fina­le­ment supprimé au début des années 1990.

Soyons bons et patients envers les animaux : cette devise impri­mée sur une plaque rouge bien visible est instal­lée dans les halles d’abat­tage à la demande du Dr Samuel Debrot, direc­teur de 1967 à 1986 des abat­toirs de Lausanne, vété­ri­naire muni­ci­pal et président de la Société vaudoise pour la protec­tion des animaux.

Christiane Nill, Local d’étourdissement du bétail des abattoirs de Malley, 2003, © Christiane Nill, Musée Historique Lausanne.
Christiane Nill, Local d’étourdissement du bétail des abattoirs de Malley, 2003, © Christiane Nill, Musée Historique Lausanne.

Samuel Debrot, ferme oppo­sant à l’abat­tage rituel sans étour­dis­se­ment, est resté dans les mémoires pour avoir intro­duit d’im­por­tantes amélio­ra­tions en matière de protec­tion des animaux et d’hy­giène au travail. Celles-ci reposent sur des adap­ta­tions tech­niques et une forma­tion du person­nel ayant pour but d’évi­ter que l’ani­mal sente l’ap­proche d’une mort qui, dit-il, « doit le surprendre, sans souf­france, sans douleurs physique ou psychique ».

Portrait de Samuel Debrot, Directeur de 1967 à 1986, Archives de la Ville de Lausanne.
Portrait de Samuel Debrot, Directeur de 1967 à 1986, Archives de la Ville de Lausanne.
Dans son ouvrage <i>Aux protecteurs des animaux : 150 réponses</i>, le Dr Samuel Debrot détaille les techniques de mise à mort des animaux, telles qu’elles étaient préconisées en 1984, et prône une alimentation végétarienne. © SVPA
Dans son ouvrage Aux protecteurs des animaux : 150 réponses, le Dr Samuel Debrot détaille les techniques de mise à mort des animaux, telles qu’elles étaient préconisées en 1984, et prône une alimentation végétarienne. © SVPA

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Une des premières pages du livre du Dr Samuel Debrot, <i>Aux protecteurs des animaux : 150 réponses</i>, 1984. © SVPA.
Une des premières pages du livre du Dr Samuel Debrot, Aux protecteurs des animaux : 150 réponses, 1984. © SVPA.

A l’ins­tar de certains habi­tants et habi­tantes, l’abat­toir a été pour lui un déclen­cheur de chan­ge­ment de régime alimen­taire comme il le révèle en 2013 au jour­nal L’au­di­toire: « Natu­rel­le­ment, comme direc­teur d’abat­toir, j’étais obligé de manger de la viande. Les bouchers n’au­raient pas compris, ils n’au­raient pas voulu être diri­gés par un végé­ta­rien. Mais quand j’ai quitté l’abat­toir, en 1986, je n’ai plus mangé de viande. Je me suis dit qu’on pouvait vivre autre­ment, et c’est juste. »

Sources

  • « Arrêté fédé­ral soumet­tant à la vota­tion popu­laire la demande d’ini­tia­tive concer­nant l’in­ter­dic­tion de l’abat­tage des animaux sans étour­dis­se­ment préa­lable », in : Feuille fédé­rale suisse 29, Mercredi 12 juillet 1893.
  • Debrot Samuel, Aux protec­teurs des animaux : 150 réponses, Lausanne, Société vaudoise pour la protec­tion des animaux SVPA, 1984.
  • Favre Brian et Zagury Judith, « Inter­view complète de Samuel Debrot », in : L’Au­di­toire, 27.03.2013.
  • Fonds sur les abat­toirs de Lausanne, Archives de la Direc­tion de la sécu­rité et de l’éco­no­mie de la Ville de Lausanne.
  • Loi fédé­rale sur la protec­tion des animaux (LPA) du 16 décembre 2005.
  • Message du Conseil Fédé­ral concer­nant la révi­sion de la loi sur la protec­tion des animaux, du 9.12.2002, FF 2003 595.
  • Service juri­dique OVF, « Infor­ma­tion de base sur l’abat­tage rituel ». Berne, 20.09.2001
  • Témoi­gnages d’an­ciens et d’an­ciennes employés et employées des abat­toirs et d’ha­bi­tants et habi­tantes du quar­tier de Malley, AAU, 2019–2020.
  • V.A, Les nouveaux abat­toirs de Lausanne, plaquette avec dessins de J.-J. Mennet et photos de G. de Jongh, 1945.

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