De la chair à la chaîne

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Cadence rapide et auto­ma­ti­sa­tion, divi­sion et simpli­fi­ca­tion des gestes profes­sion­nels, hygié­ni­sa­tion et sécu­ri­sa­tion. Au rythme de la chaîne d’abat­tage, la folle danse entre humains et animaux

A partir de la fin des années 1960, l’ac­ti­vité du complexe se déroule essen­tiel­le­ment selon l’or­ga­ni­sa­tion ration­nelle de l’abat­toir indus­triel, conçue autour de la chaîne d’abat­tage, qui intègre notam­ment un système de trans­port auto­ma­tisé des carcasses aux diffé­rentes étapes de leur trans­for­ma­tion en viande. C’est à cette période que sont instal­lées les chaînes d’abat­tage du petit et gros bétail, adap­tées aux nouvelles méthodes de mise à mort par pisto­let d’abat­tage, de saignée – la saignée verti­cale remplaçant la saignée hori­zon­tale – et de dépeçage des carcasses.

Gaston de Jongh, Halle d’abattage des abattoirs de Malley, 1944-1945, Musée Historique Lausanne.
Gaston de Jongh, Halle d’abattage des abattoirs de Malley, 1944-1945, Musée Historique Lausanne.
Christiane Nill, Bac de saignées des abattoirs de Malley, 2003, © Christiane Nill, Musée Historique Lausanne.
Christiane Nill, Bac de saignées des abattoirs de Malley, 2003, © Christiane Nill, Musée Historique Lausanne.

L’au­to­ma­ti­sa­tion et la divi­sion du travail intro­duites par l’in­dus­tria­li­sa­tion entraînent partout une profonde muta­tion du métier de boucher-char­cu­tier. Avec le travail à la chaîne, la poly­va­lence requise aupa­ra­vant cède la place à des tâches simpli­fiées et répé­ti­tives.

Michel Perrenoud, Abattoirs de Malley, 14.04.1983, © Michel Perrenoud, Archives cantonales vaudoises.
Michel Perrenoud, Abattoirs de Malley, 14.04.1983, © Michel Perrenoud, Archives cantonales vaudoises.

Dans un abat­toir indus­triel, l’ac­ti­vité est en effet dictée par l’ap­pli­ca­tion de normes sani­taires strictes, le rythme soutenu de la chaîne et les objec­tifs de produc­tion. La chaîne compte une dizaine de stations où des opéra­tions spéci­fiques sont effec­tuées par une ou deux personnes : étour­dis­se­ment, saignée, écor­chage, évis­cé­ra­tion, fente verté­brale, inspec­tions sani­taires, parage, etc.

L’en­semble des opéra­tions dure une dizaine ou une ving­taine de minutes, selon qu’il s’agit de « petit bétail » (moutons, veaux, porcs) ou de « gros bétail » (bovins, chevaux). Les carcasses sont ensuite entre­po­sées plusieurs heures dans des halles frigo­ri­fiques de ressuage afin de les déshu­mi­di­fier en attente d’être conge­lées ou reti­rées par les ache­teurs. L’en­tre­po­sage de longue durée est amélioré dès 1964 grâce à l’inau­gu­ra­tion d’un dispo­si­tif de congé­la­tion pouvant atteindre moins 36 degrés. L’in­for­ma­ti­sa­tion fait son appa­ri­tion dans les années 1980 permet­tant, par exemple, une régu­la­tion ther­mique – aupa­ra­vant manuelle – auto­ma­ti­sée des réfri­gé­ra­teurs, ou le rempla­ce­ment, en 1989, des anciennes balances.

Plan de la chaîne d’abattage du gros bétail installée en 1970, Archives de Prilly.
Plan de la chaîne d’abattage du gros bétail installée en 1970, Archives de Prilly.
Vidéo montrant le fonctionnement interne des abattoirs de Lausanne destinée aux potentiels visiteurs qui ne souhaitaient ou ne pouvaient pas entrer dans les halles d'abattage. Service des abattoirs de la Ville de Lausanne, 1987 ; © Ville de Lausanne, Direction de la sécurité et de l’économie.
Attention: certaines images peuvent heurter les sensibilités!

Depuis 1972, le système méca­nique des chaînes ne subit, sauf pour le petit bétail, aucune moder­ni­sa­tion majeure, malgré la concep­tion au début des années 1990 d’un projet de réno­va­tion global qui ne sera pas achevé. Les problèmes récla­mant une inter­ven­tion urgente de répa­ra­tion sont courants. L’ar­rêt néces­saire du circuit d’abat­tage occa­sionne parfois retards et mécon­ten­te­ments, raconte un tech­ni­cien du service d’en­tre­tien, chargé de la révi­sion et du dépan­nage de toutes les instal­la­tions. Il relève la diffi­culté d’as­su­rer la manu­ten­tion d’équi­pe­ments tech­niques qui évoluent : « Des fois, on savait qu’on n’avait pas l’ou­til qu’il fallait, mais on devait répondre à des exigences comme si l’ou­til était là ! Donc, on faisait des impro­vi­sa­tions, des rele­vés manuels, pour pouvoir montrer et assu­rer à ceux qui venaient nous contrô­ler qu’on avait respecté les tempé­ra­tures, qu’on avait respecté la produc­tion d’eau chaude. Qu’on avait aussi le souci de ne pas consom­mer inuti­le­ment de l’éner­gie… ».

A l'opposé de la chaîne d'abattage, le bouchoyage du cochon dans sa version rurale et traditionnelle lors de la Fête de la Saint-Martin à Rocourt où, au cours d'un grand repas festif, toutes les parties de l'animal sont consommées dans une atmosphère joyeuse célébrant, selon les villageois, « le plus grand saint du Paradis ». La St-Martin en Haute Ajoie, Carrefour, 20.11.1966 ; RTS Radio Télévision Suisse.

Sources

  • Samuel Debrot, Guide de l’ins­pec­teur des viandes, Roma­nel: Nelger, 1971, (BIHM Fonds Galli-Vale­rio).
  • Fonds sur les abat­toirs de Lausanne, Archives de la Direc­tion de la sécu­rité et de l’éco­no­mie de la Ville de Lausanne.
  • P.A.D., « Inau­gu­ra­tion par moins 36 degrés. Nouvelles instal­la­tions aux abat­toirs de Lausanne », in : Gazette de Lausanne, 28.11.1964.
  • Rapports de gestion de la Muni­ci­pa­lité de Lausanne, 1945–2002, Archives de la Ville de Lausanne.
  • Union Suisse des Maîtres-Bouchers, Guide du Boucher-Char­cu­tier, 1972.
  • V.A., Les nouveaux abat­toirs de Lausanne, plaquette avec dessins de J.-J. Mennet et photos de G. de Jongh, 1945.
  • Témoi­gnages d’an­ciens et d’an­ciennes employés et employées des abat­toirs, 2019–2020, IHM CHUV-UNIL et Asso­cia­tion AAU.
  • Ville de Lausanne, préavis n° 42 du 20.08.1998 : «Abat­toirs de Lausanne. Restruc­tu­ra­tion et mise aux normes euro­péennes. Cons­truc­tion d’un nouveau centre collec­teur de déchets animaux».

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