Pour les habitants et habitantes de Malley, vivre «en compagnie» d’un grand abattoir est une expérience riche en sensations, souvent désagréables, qui se forge dans un lieu de chair, de sang et de labeur écrit dans l’histoire du quartier
Au terme de ce parcours jalonné par neuf thèmes retraçant l’histoire des derniers abattoirs de la Ville de Lausanne, Malley en quartiers permet de saisir les spécificités techniques et les réalités sociales attachées à cette « Cité de la viande », comme l’écrit la Gazette de Lausanne dans les années 1960, qui a marqué le paysage industriel du quartier et la vie quotidienne de sa population pendant la deuxième moitié du 20e siècle.
Fin 2002, les abattoirs de Lausanne, alors dirigés par le dernier administrateur Georges Krieger qui succède à Raymond Pahud décédé brusquement en 1999, ferment définitivement leurs portes. Les causes principales en sont le départ de plusieurs gros clients et l’annulation de la décision initialement favorable de la Ville de Lausanne de subventionner, sous réserve de l’engagement du canton de Vaud et de Genève, des travaux urgents et onéreux (15 millions de francs au total) de rénovation et de mise en conformité des installations aux normes suisses et européennes. Genève se rétractant, la crainte d’un investissement à fonds perdus pousse les pouvoirs publics concernés à jeter l’éponge, entérinant dans le même temps l’abandon – qui se généralise partout en Suisse et en Europe – du modèle productif, administratif et sanitaire de l’abattoir public.
Depuis quelques années, divers projets immobiliers et urbanistiques, intégrés aux plans de quartiers Malley-Gare et Malley-Gazomètre pilotés par les Villes de Renens et Prilly, investissent cette vaste aire qui change rapidement d’aspect et formant, il y a peu encore, un tissu industriel très diversifié.Dans ce processus, la conservation et la restitution des traces matérielles et immatérielles laissées par les anciens abattoirs prennent tout leur sens car elles contribuent à une réflexion globale sur l’origine et l’identité du quartier.
Malley en quartiers promeut une telle réflexion en donnant notamment la parole aux personnes porteuses d’une mémoire vivante et d’une culture des lieux qui s’effacent, dans un contexte où les métiers de la boucherie sont également sujets à de profonds bouleversements.
L’histoire du quartier de Malley se développe durant le 20e siècle autour d’activités industrielles variées aujourd’hui disparues ou en déclin. Cette histoire se confond en grande partie avec celle de « ses » anciens grands abattoirs, mais aussi avec les « micro-histoires » des personnes qui y ont travaillé ou vivant dans ce quartier. Regret pour les premiers et soulagement pour les seconds, la fermeture des abattoirs signe la fin d’une ère. Un chef d’équipe et contrôleur des viandes rappelle : « on a tué les derniers animaux le 31 décembre 2002 […] C’est une grande partie de mon parcours professionnel : 23 ans, aux abattoirs de Lausanne, à Malley. J’ai eu beaucoup de plaisir à y travailler et je ne pensais pas qu’ils fermeraient un jour. Je pensais finir ma carrière de boucher aux abattoirs à Lausanne ».
Pour certains habitants et habitantes de Malley, les abattoirs représentent, aujourd’hui encore, malgré leur démolition en 2015, un point d’ancrage dans le paysage, une sorte de « signature » spatiale du quartier, rappelée par quelques éléments encore en place : bâtiment administratif, haut-relief à l’entrée de l’ancien complexe, restaurants (Café des Bouchers, Brasserie des abattoirs). Les abattoirs demeurent enracinés dans la mémoire locale comme une expérience personnelle et sensorielle forte, marquée par la vue d’un animal fugueur ou les effluves âcres de graisses fondues, qui dessine la géographie émotionnelle de nombreuses personnes familières de cette partie de l’Ouest lausannois.
Sources
Littérature secondaire