Le quartier des abattoirs en mémoire

9

Pour les habi­tants et habi­tantes de Malley, vivre «en compa­gnie» d’un grand abat­toir est une expé­rience riche en sensa­tions, souvent désa­gréables, qui se forge dans un lieu de chair, de sang et de labeur écrit dans l’his­toire du quar­tier

Au terme de ce parcours jalonné par neuf thèmes retraçant l’his­toire des derniers abat­toirs de la Ville de Lausanne, Malley en quar­tiers permet de saisir les spéci­fi­ci­tés tech­niques et les réali­tés sociales atta­chées à cette « Cité de la viande », comme l’écrit la Gazette de Lausanne dans les années 1960, qui a marqué le paysage indus­triel du quar­tier et la vie quoti­dienne de sa popu­la­tion pendant la deuxième moitié du 20e siècle.

Fin 2002, les abat­toirs de Lausanne, alors diri­gés par le dernier admi­nis­tra­teur Georges Krie­ger qui succède à Raymond Pahud décédé brusque­ment en 1999, ferment défi­ni­ti­ve­ment leurs portes. Les causes prin­ci­pales en sont le départ de plusieurs gros clients et l’an­nu­la­tion de la déci­sion initia­le­ment favo­rable de la Ville de Lausanne de subven­tion­ner, sous réserve de l’en­ga­ge­ment du canton de Vaud et de Genève, des travaux urgents et onéreux (15 millions de francs au total) de réno­va­tion et de mise en confor­mité des instal­la­tions aux normes suisses et euro­péennes. Genève se rétrac­tant, la crainte d’un inves­tis­se­ment à fonds perdus pousse les pouvoirs publics concer­nés à jeter l’éponge, enté­ri­nant dans le même temps l’aban­don – qui se géné­ra­lise partout en Suisse et en Europe – du modèle produc­tif, admi­nis­tra­tif et sani­taire de l’abat­toir public.

Depuis quelques années, divers projets immo­bi­liers et urba­nis­tiques, inté­grés aux plans de quar­tiers Malley-Gare et Malley-Gazo­mètre pilo­tés par les Villes de Renens et Prilly, inves­tissent cette vaste aire qui change rapi­de­ment d’as­pect et formant, il y a peu encore, un tissu indus­triel très diver­si­fié.Dans ce proces­sus, la conser­va­tion et la resti­tu­tion des traces maté­rielles et imma­té­rielles lais­sées par les anciens abat­toirs prennent tout leur sens car elles contri­buent à une réflexion globale sur l’ori­gine et l’iden­tité du quar­tier.

Maquette de projet Malley-Centre, 2015, © Stratégie et développement de l’Ouest lausannois.
Maquette de projet Malley-Centre, 2015, © Stratégie et développement de l’Ouest lausannois.
La réhabilitation du quartier de Malley au coeur des initiatives citoyennes des Journées des Alternatives Urbaines. © Journée des Alternatives Urbaines 2017.
La réhabilitation du quartier de Malley au coeur des initiatives citoyennes des Journées des Alternatives Urbaines. © Journée des Alternatives Urbaines 2017.

Visi­ter le site web

Vania Repond, réalisatrice de ce film documentaire, le collectif Stigma et le centre Malley-Montelly donnent la parole aux jeunes à propos des grands changements urbanistiques qui vont s’opérer dans la zone. Mon quartier, mon repère. Film documentaire de Vania Repond (2009). © TV Bourdonette et SDOL.

Malley en quar­tiers promeut une telle réflexion en donnant notam­ment la parole aux personnes porteuses d’une mémoire vivante et d’une culture des lieux qui s’ef­facent, dans un contexte où les métiers de la bouche­rie sont égale­ment sujets à de profonds boule­ver­se­ments.

Les abattoirs de Malley, un espace de jeu insolite. Témoignage de M. Pierre-André Mattenberger, fils de Mme Marthe Mattenberger, ancienne concierge du complexe. © 2020, IHM CHUV-UNIL et Association AAU.

L’his­toire du quar­tier de Malley se déve­loppe durant le 20e siècle autour d’ac­ti­vi­tés indus­trielles variées aujourd’­hui dispa­rues ou en déclin. Cette histoire se confond en grande partie avec celle de « ses » anciens grands abat­toirs, mais aussi avec les « micro-histoires » des personnes qui y ont travaillé ou vivant dans ce quar­tier. Regret pour les premiers et soula­ge­ment pour les seconds, la ferme­ture des abat­toirs signe la fin d’une ère. Un chef d’équipe et contrô­leur des viandes rappelle : « on a tué les derniers animaux le 31 décembre 2002 […] C’est une grande partie de mon parcours profes­sion­nel : 23 ans, aux abat­toirs de Lausanne, à Malley. J’ai eu beau­coup de plai­sir à y travailler et je ne pensais pas qu’ils ferme­raient un jour. Je pensais finir ma carrière de boucher aux abat­toirs à Lausanne ».

Habitants et habitantes du quartier de Malley et membres du personnel des anciens abattoirs ayant témoigné pour Malley en quartiers, 2020, © Salvatore Bevilacqua.
Habitants et habitantes du quartier de Malley et membres du personnel des anciens abattoirs ayant témoigné pour Malley en quartiers, 2020, © Salvatore Bevilacqua.
Le Schéma directeur intercommunal de Malley (SDIM), instrument stratégique de valorisation du secteur de Malley intègre également son passé industriel.
Le Schéma directeur intercommunal de Malley (SDIM), instrument stratégique de valorisation du secteur de Malley intègre également son passé industriel.
Télécharger le document

Pour certains habi­tants et habi­tantes de Malley, les abat­toirs repré­sentent, aujourd’­hui encore, malgré leur démo­li­tion en 2015, un point d’an­crage dans le paysage, une sorte de « signa­ture » spatiale du quar­tier, rappe­lée par quelques éléments encore en place : bâti­ment admi­nis­tra­tif, haut-relief à l’en­trée de l’an­cien complexe, restau­rants (Café des Bouchers, Bras­se­rie des abat­toirs). Les abat­toirs demeurent enra­ci­nés dans la mémoire locale comme une expé­rience person­nelle et senso­rielle forte, marquée par la vue d’un animal fugueur ou les effluves âcres de graisses fondues, qui dessine la géogra­phie émotion­nelle de nombreuses personnes fami­lières de cette partie de l’Ouest lausan­nois.

Souvenirs indélébiles et contrastés des abattoirs dans un quartier ouvrier. Témoignage de Mme Sandra Falcione, habitante du quartier depuis 1973. © 2020, IHM CHUV-UNIL et Association AAU.
Publication réalisée par Léa Marie d’Avigneau dans le cadre d’un mandat du Schéma directeur de l’Ouest lausannois (SDOL) et d’une balade tout public organisée en septembre 2016 s’inscrivant dans le projet RE-PLAY, Animer la friche de Malley.
Publication réalisée par Léa Marie d’Avigneau dans le cadre d’un mandat du Schéma directeur de l’Ouest lausannois (SDOL) et d’une balade tout public organisée en septembre 2016 s’inscrivant dans le projet RE-PLAY, Animer la friche de Malley.
Télécharger le document

Sources

  • Bulle­tin des séances du Grand Conseil du Canton de Vaud, Mai 2000 (51ème légis­la­ture).
  • Fonds sur les abat­toirs de Lausanne, Archives de la Direc­tion de la sécu­rité et de l’éco­no­mie de la Ville de Lausanne.
  • Monique Keller, « Exsangues, les abat­toirs suppri­més », in : 24 Heures, 23–25 mars 2002.
  • Ouest Lausan­nois, « Malley s’éveille ». Aperçu du Schéma direc­teur inter­com­mu­nal de Malley (SDIM) mis en consul­ta­tion publique du 26 mai au 27 juin 2011.
  • P.A.D., « Inau­gu­ra­tion par moins 36 degrés. Nouvelles instal­la­tions aux abat­toirs de Lausanne », in : Gazette de Lausanne, 28.11.1964.
  • Témoi­gnages d’an­ciens et d’an­ciennes employés et employées des abat­toirs ainsi que d’ha­bi­tants et habi­tantes du quar­tier, 2019–2020, IHM CHUV-UNIL et Asso­cia­tion AAU.
  • Ville de Prilly, « Tout ce que vous devez connaître sur le futur et probable déve­lop­pe­ment de Malley ».

Litté­ra­ture secon­daire